1er épisode
Olivier Erard : « Changer d’histoire, c’est changer l’histoire »
Olivier Erard de la station jurassienne de Metabief (entre 900 et 1400 mètres d’altitude) revient sur la mise en place de la transformation de la station et nous explique comment les équipes sont parvenues à créer un projet que chacun puisse s’approprier pour évoluer vers un modèle sans ski alpin à l’horizon 2030-35.
S’il ne fallait retenir que 3 points de cet épisode voici ce qui nous a marqué :
- L’écosystème des stations se comporte comme un système complexe. C’est pourquoi il est impossible d’y plaquer des solutions toutes faites. La seule parade : tester, prototyper, essayer, recommencer… pour trouver ce qui marche ou pas !
- L’importance des hommes dans les processus de transformation : il faut intégrer l’humain à tous les niveaux et demander aux acteurs et actrices de la station de participer !
- Il faut se fixer une échéance, un objectif pour mettre tout le monde au travail et en mouvement.
« En moyenne montagne, là où se trouve Métabief, entre 900 et 1400 mètres d’altitude, l’enjeu climatique est l’une des crises auxquelles nous devons faire face » commence Olivier Erard, « On était au pied du mur avec des enjeux de renouvellement de remontées mécaniques. Je crois que c’est parce qu’on voyait le mur arriver qu’on a été contraint de prendre les sujets les uns après les autres. Et c’est a posteriori qu’on s’est rendus compte qu’on avait mis en place tous les éléments d’un processus de transformation plus profond que ce qu’on imaginait. »
Au sujet du mot transition : « C’est plutôt dans un process de transformation que de transition parce que la transition est un mouvement d’un point A à un point B. Sauf qu’aujourd’hui, le point B on ne le connait pas donc on est plutôt dans un processus de transformation. »
A propos du modèle économique des stations de ski : « Il est encore aujourd’hui très marqué par le plan neige de 1964. C’est le domaine skiable qui dirige avec le foncier qui suit. Ça a créé une polarisation très forte. Ce modèle-là de tourisme a eu un impact même sur des territoires qui n’ont jamais connu de station, puisque la filière professionnelle s’est bâtie à partir du modèle des années 60. Or c’est un modèle qui est ignore les spécificités de chaque territoire. Or aujourd’hui, sur des territoires comme le nôtre, se ressent un besoin de rééquilibrage dans le rapport entre la station et le territoire. Pourtant rien ne peut remplacer le ski alpin pour rembourser des remontées mécaniques et tout l’équipement qui va avec. Donc quand on projette la fin du ski alpin, on se rend compte que le chiffre d’affaires va être divisé par 4. On va donc vers une décroissance forte. Et si on veut garder une économie touristique sur notre territoire, on doit le regarder non plus juste sur le périmètre de la station mais à une échelle beaucoup plus vaste : celle du territoire »
Quelles étapes permettent de mettre en place la transition du modèle économique ? « La première est d’admettre que le ski alpin peut arrêter et qu’il faut cesser d’investir lourdement dans le ski. On a dû admettre qu’on n’avait plus les moyens de faire de nouvelles remontées mécaniques. C’est le premier deuil. »
« La seconde est de se mettre d’accord sur ce qu’on veut pour notre montagne après le ski. Cette question a été levée assez rapidement, un consensus naturel est arrivé, parce que quand on va chercher le fond chez les gens de la montagne, ils reviennent à des valeurs assez simples. Arriver à vivre d’une économie touristique tout en recréant la nature de notre montagne peut être un beau challenge à relever. Donc on est parti du principe qu’après le ski alpin on allait rendre la montagne plus naturelle. »
De l’importance de chercher plutôt que de trouver : « À Métabief, on se focalise sur les moyens et la méthode plutôt que sur le résultat. Sens, transformation, partage, vision commune… sont des mots-clés de ce travail. On ne sait pas où l’on va donc on ne cherche pas de solutions toutes faites et trop rapides. On cherche ce que l’on peut faire là, à l’instant T. »
Comment les stations de ski plus grandes peuvent-elles lancer leur transformation ? « Pour rappel, à Métabief nous expérimentons, donc on ne propose pas une solution toute faite applicable aux autres, on cherche ce qui est le plus adapté pour notre territoire. Cela dit, la première étape pour se lancer dans une transformation c’est d’établir une vérité partagée sur la situation actuelle. Admettre, par exemple, le poids économique véritable de la station sur son territoire, ses impacts. Si le modèle apporte plus de contribution que de perturbations, on peut comprendre qu’on le fasse perdurer. Mais c’est important aussi de regarder les fragilités du système. Les objectiver notamment les enjeux de ressource en eau, le foncier, la mobilité.
Il faut appréhender les choses de la manière la plus objective possible pour partager une réalité. Construire une réalité partagée est essentiel pour ensuite écrire une histoire commune. »
Quelles sont les difficultés de la transformation ? « Le modèle est confronté à 2 forces : une force de conservation et une force d’évolution. Il peut absorber une partie des perturbations externes et donner l’impression qu’il est en transition sauf qu’il ne change pas. Jusqu’à ce que les contraintes deviennent trop fortes. Donc tant qu’il peut absorber il est en phase de résistance, pas de transformation. » Pour pouvoir transformer le système il faut le comprendre. « Beaucoup de partie prenantes ont des liens, une histoire commune donc même avec la meilleure volonté du monde on ne pourrait jamais finement mécaniser le système. Donc on est dans le domaine de la complexité. La bonne démarche n’est pas d’essayer de trouver la bonne pratique, mais plutôt d’agir, d’innover de tester et de regarder comme il réagit. On est clairement dans le champ de l’innovation. On fait de petits pas en direction d’une idée commune de l’ordre de l’intuition. On nourrit un réservoir sémantique et symbolique commun, pour écrire une histoire ensemble. »